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Recueil de Nouvelles noires

Extrait de : LE CIMETIERE par Corinne Geneau

(Tous droits réservés)

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Deux phares de voiture transpercent la nuit. Une nuit noire et froide de novembre. La voiture s'arrête, le long du mur d'enceinte du cimetière. 3 jeunes filles en descendent et les portières claquent. Elles rient aux éclats et se bousculent. Leur respiration fait de la buée. On approche de la minuit et le cimetière de la ville est en pleine forêt sur la route nationale 34. Tout est calme et si les filles faisaient un peu moins de bruit, elles n'entendraient que le vent qui fait chanter les arbres et le cri de la chouette de temps à autre. Mais dans l'immédiat, c'est l'oiseau de nuit, sur sa branche d'érable, qui les écoute...
Bientôt elles finissent par se taire et restent plantées là devant la porte en fer forgé fermé du petit cimetière. Quelques minutes s'écoulent et les bruits de la nuit reprennent leur droit. Soudain, le hululement de la chouette tout près, leur glace le dos. Imperceptiblement elles se resserrent l'une contre l'autre. La nuit est partout, seule la lune jette une teinte blafarde alentours. Elles échangent un regard furtif et c'est la grande brune qui se décide à pousser la porte. Le battant rouillé grince à fendre l'âme. C'est le cas de le dire. La petite blonde s'agrippe à se copine et elles entrent.
- Attendez moi ! crie la troisième fille à la chevelure rouge flamboyante.
Leurs pas résonnent sur le gravier des allées. La brume est tout autour enveloppant les pierres tombales comme un voile funèbre. Tout bien réfléchit le décor est morbide. Elles se dirigent vers le fond du cimetière, dans la partie la plus ancienne. Là, ou se trouve les mausolées familiaux les plus vieux et les plus imposants. elles passent en file indienne à côté de la chapelle.
Hou Hou ! Le cri de la chouette retentit à nouveau. Samantha, la rousse, sursaute. Léa se retrouve et lui dit :
- Arrête.
- ça va, j'ai pas fait exprès.
Elles passent près d'un peuplier et tourne à droite. Psff ! Un gros oiseau s'envole a leur passage. Jade toujours en tête hurle.
- Haaaaa !
Les deux autres lui rentrent dedans. Essoufflée, Jade se retourne et murmure.
- Ok ! On se détend après tout ce n'est qu'un jeu idiot.
Les deux autres acquièssent. D'accord.
Accolée à la chapelle, un monument funéraire avec inscrit au fronton : "L'éternité c'est long, surtout à la fin"
Jade attrape Léa par le bras et dit :
- C'est là.
Nos trois adolescentes, tout juste majeure font face à la porte de la tombe du comte de St Germain. Alexandre
Francois Roger, dernier du nom, y a été enterré en 1990. Il y a de cela 27 ans. Autant dire un lustre. Jade prend une grande respiration et pose la main sur la poignée de la porte. Elle tourne , mais elle résiste. Alors elle donne un coup d'épaule sur le ventail et pousse de toutes ses forces. La porte cède, du ciment et de la poussière tombe sur elle. Habillée pour l'occasion toute en noire, elle se retrouve farinée comme un beignet.
- Zut .
Elle entre suivit de Léa et de Samantha. Il fait encore plus sombre que dehors. Elles se tassent à l'intérieur. Sam fouille dans sa poche et en sort une pile électrique qu'elle allume.
Et que la lumière fut...
Le mur du fond, qui est aussi celui de l'église, est couvert de plaques mortuaires. Plusieurs générations de St germain son enterrées là. Et au centre de la petite pièce, le caveau du comte Alexandre de St germain avec de chaque côté son père et sa mère. Le faisceau de la lampe éclaire avec parcimonie et des milliers de particules de poussières dansent dans la raie blanchâtre.
C'est Léa, la blonde, qui prend la parole :
- Bon ba on y est.
- Installons nous pour la nuit, après tous c'est la dernière que nous passerons ensemble. Tenez on va s'assoire sur cette bonne madame Hortense de St Germain, mère. Sitôt dit, sitôt fait.
Sam et Léa se pose du bout des fesses sur le marbre froid. Le sol est en terre battue et Jade fait le tour de la pièce et traine ses mains sur les murs.
- Tu es sure de vouloir le faire ? demande Sam.
- Ma décision est prise. J'irai jusqu'au bout, répond Jade.
- Tu as tiré une carte noire tout de même, reprend Léa.
Jade grimpe sur la tombe et vient s'assoire en tailleur entre ses deux amies. La lampe est posée entre elles et leur fait des visages fantomatiques de théâtre. Hou Hou ! la chouette hurle à nouveau , mais son cri est étouffé. Les filles tournent brièvement la tête vers la porte qu'elles ont refermés derrière elles ...
Jade répond :
- Et alors. Rappelez vous lorsque l'on a commencé à jouer à "la faucheuse" en début d'année. On a tous jurés de respecter les règles et vous aussi.
- Oui mais jusque là c'était marrant. La dernière fois, j'ai tiré la carte verte -se teindre les cheveux en rouge- et Léa à tiré la carte rouge -coucher avec un membre de l'équipe de basket- Toi, par contre, tu es la première à avoir tiré une carte noire, depuis septembre dans tout le lycée.
- Evidemment, sur le plateau de 203 cases rouge et verte, il n'y a que 3 cases qui sont noires. Statistiquement , c'était peu probable.
La nuit avance et le froid devient mordant. Les 3 filles demeurent assises sur le caveau de la comtesse. Le silence s'installe . Le vent qui souffle encore fait bouger la porte à un rythme irrégulier.
Soudain Jade pouffe et dit :
- Je suis tombée sur la carte n° 2 -passer la nuit au cimetière et disparaître définitivement - Vous imaginez si j'avais tiré la numéro 3 ?
- Sam intervient : -Tuer une personne de son choix en ville- Tu ne l'aurai pas fait tout de même ?
Le regard de Jade est perdu dans le vague, et elle répond :
- Vous ne le saurez jamais puisque je pars ce soir...
- Tu ne changera pas d'avis ? et ton sac ?
- Il est à la consigne de la gare Valmy depuis deux jours. T'inquiète j'ai tout prévu. Maintenant c'est à vous d'assurer. N'oubliez jamais. On a fait un pacte, jamais de nouvelles. A la vie, a la mort ! Vous ne savez rien.
Léa baisse le nez et regarde la tombe ou elle est assise. Elle est secouée de tremblements. Jade se fâche gentillement.
- Ha non ! tu vas pas pleurer. T'avais promis.
- Excuse moi , répond elle.
Après quelques instants, c'est Sam qui prend la parole
- Bon maintenant, il faut dormir . La journée sera longue demain. Et si vous le permettez les filles, je suis sur la comtesse, alors j'y reste. Oust !
A nouveau , c'est la franche rigolade comme avant. Comme il y a trois mois. Et puis, en septembre avec la nouvelle rentrée scolaire, plus rien n'a été pareil. Sans que l'on sache pourquoi ou comment, Le jeu de rôle de "la faucheuse" était là. Dans le Lycée Maurice Hertzog, tout le monde connait ce jeu et presque tout le monde y joue le vendredi soir après les cours. Alors bien sûr, la ville est sans dessus-dessous, car le jeu est basé sur deux couleurs principales. Les cases vertes qui correspondent à des défis légers et même rigolos comme :
- adopter un look gotic ou punk
- faire une fugue
- se teindre les cheveux en rouge
- mettre du sel à la place du sucre à la maison
- laisser échapper un chien de chez lui
- débrancher le câble de la télévision
- arracher une page dans un livre de son prof
etc
et puis des cases rouges qui correspondent à des défis ayant plus de conséquences, comme :
- retourner toutes les poubelles de la ville
- piquer un produit dans un grand magasin
- faire un faux témoignage
- coucher avec un membre de l'équipe de basket ou de danse
- voler une voiture
- provoquer un incendie
etc
et puis bien sur, les fameuses 3 cases noires :
n°1 : dénoncer le secret d'une personnalité de la ville
n°2 : passer la nuit au cimetière et disparaître définitivement de la ville
n°3 : tuer une personne de son choix en ville

Evidemment, cela n'est pas aussi dramatique que ça en a l'air. Si l'on ne souhaite pas réaliser le défi inscrit sur le carte que l'on a tiré, on va à la case "Oubliettes" et c'est fini. Excepté que plus personnes ne leur parle jamais. A ce jour, 3 joueurs seulement ont abandonné et ils n'existent plus pour les autres jeunes. L'atmosphère est devenue irrespirable pour eux. Ils sont harcelés quotidiennement par les autres et n'ont plus d'amis. Voila pourquoi les jeunes ne s'arrêtent pas.
L'administration du Lycée s'est bien rendu compte qu'il se passait quelques choses, mais quoi au juste... Une suite de bizarreries et de petites délinquances. La police a été alertée, mais elle patauge et ne comprend pas. Rien n'a filtré.

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... à suivre

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